« L'hémodialyse, cette maladie ». Approche anthropologique d'un amalgame (2024)

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«Alors si la dialyse n’est pas contraignante euh ... Je ne connais pas beaucoup de maladies qui le sont!».

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«Et comme je dis, la dialyse, ce n’est pas une maladie qui s’attrape, hein?».

3Deux phrases anodines au cœur des entretiens. Deux phrases que ne relèvera pas la plupart des médecins, soignants ou proches de ceux qui les ont prononcées mais qui révèlent pourtant un fait essentiel: pour certains patients insuffisants rénaux chroniques, l’hémodialyse est une maladie.

4L’hémodialyse est pourtant l’un [1] des traitements de l’insuffisance rénale terminale (IRT) qui permet aux malades de survivre à cette pathologie mortelle. Ce traitement est une véritable substitution à la fonction rénale [2]. Le patient est piqué, «rattaché» à une machine qui a pour but de pomper le sang, le filtrer afin de le restituer débarrassé des substances toxiques et du liquide excédentaire qui encombrent l’organisme. Le malade doit se plier à cette épuration trois fois par semaine durant quatre à cinq heures, le temps de dialyse dépendant du poids pris entre deux séances. Ainsi traité, le malade voit son insuffisance rénale perdurer alors qu’il y a encore cinquante ans il en serait mort. L’IRT fait partie de ces affections devenues chroniques grâce aux avancées médicales de la seconde moitié du xxe siècle, au même titre que le diabète.

5Pourtant lorsqu’une personne souffre d’un diabète, elle ne souffre pas de l’insuline, lorsqu’une personne est asthmatique, elle ne souffre pas de la Ventoline®, mais quand une personne est atteinte d’insuffisance rénale chronique (IRC), elle est susceptible de «souffrir d’hémodialyse», le traitement étant alors amalgamé à une maladie. Cette constatation a été relevée de manière récurrente au contact de personnes affectées par une IRC et interrogées sur leur vécu. Comment comprendre cette représentation qui semble structurer l’expérience profane de l’hémodialyse? Comment un traitement peut-il être amalgamé à une maladie?

6En préalable au développement de cette interrogation, il convient de définir ce que nous entendons par «amalgamer». Nous utilisons ce terme dans l’acception suivante:«Mélanger, réunir des personnes ou des choses de nature, d’espèce différente» [3]. Il apparaît important pour justifier le raisonnement qui a guidé les analyses présentées ici, de préciser que si le mot amalgamer signifie «mélanger ou réunir des choses différentes», il s’agit très généralement de «choses» qui peuvent être rapprochées.Nous faisons l’hypothèse que lorsque les patients amalgament un traitement, l’hémodialyse, à une maladie, ce processus repose sur certains éléments de leur expérience de la dialyse qui épousent quelques-uns des contours d’une expérience de maladie. Mais lesquels? Quelles logiques président à cette situation particulière d’amalgame? Pour les patients, l’hémodialyse est-elle une maladie supplémentaire, les malades subissant alors non pas une mais deux maladies? Est-elle au contraire une composante supplémentaire d’une même maladie, l’IRC?

7Il est intéressant de remarquer que l’association des termes dialyse et maladie n’est pas uniquement présente dans les mots des patients mais apparaît également dans les propos des médecins qui parlent «d’hémodialyse chronique» [4]. Par cet intitulé, ils décrivent le caractère régulier des séances de dialyse, la lourdeur de ce traitement et ses effets secondaires. L’accolement des deux mots n’est cependant pas anodin car c’est l’hémodialyse qui permet à un insuffisant rénal en phase terminale, normalement condamné à mourir, de rester un IRC, condition que les malades endossent jusqu’à ce que leurs reins n’assument plus que 5% à 10% de leur fonction. Le processus de dégradation rénale peut s’étaler sur plusieurs années mais, au terme de ce processus, si ces personnes sont encore malades, c’est bien grâce à l’hémodialyse, ou plutôt à cause de l’hémodialyse. Les patients insuffisants rénaux sont donc susceptibles de subir successivement deux cycles de leurmaladie chronique liés mais cependant distincts car marqués par différentes spécificités.

8Nous allons dans un premier temps porter attention aux premiers éléments de l’expérience des patients affectés par cette maladie qu’est l’IRC, pour comprendre ensuite comment la mise en hémodialyse s’articule dans «la trajectoire» du patient (Strauss et al., 1975). La littérature sociologique et anthropologique offre quelques pistes de réflexions liminaires au regard des définitions relatives à l’expérience de la maladie grave. L’une des caractéristiques qui détermine l’entrée en maladie est la «rupture biographique» (Bury, 1982) vécue par les individus. Dans la lignée de ces développements, nous montrerons que l’expérience de la «rupture biographique» des patients affectés par l’IRC s’établit avec la mise en place du traitement par hémodialyse, constituant le premier pilier de l’amalgame entre traitement et maladie.

9Dans un second temps, nous montrerons que l’amalgame entre traitement et maladie repose également sur une perception aiguë de changements corporels qui se dessinent «pour» l’entrée en dialyse, et «avec» ce traitement par dialyse. C’est la maladie qui fait habituellement souffrir les êtres, or, pour les patients rencontrés, c’est l’hémodialyse qui concentre leur vécu douloureux. L’hémodialyse met le patient sous le coup d’un traitement qui englobe les définitions habituellement attribuées à la maladie chronique (Baszanger, 1986, 1991): périodicité et détérioration lente de l’état de santé (conséquences médicales de la dialyse). Les rapports que les individus entretiennent avec leurs soins ont fait l’objet d’une importante littérature. De nombreux auteurs se sont intéressés aux raisons de la «non compliance» des patients aux traitements (Adams et al., 1997; Boutry et al., 2001; Conrad, 1985; DiMatteo et al., 2002; Ferreira et al., 2010; Kravitz et al., 1993; Pound et al., 2005; Shoemaker et Ramalho de Oliveira, 2008). Certains se sont plus particulièrement penchés sur le vécu des patientset ont montré que les traitements, parfois difficiles à supporter, sont appréhendés comme des obligations (Collin, 2003; Shoemaker et Ramalho de Oliveira, 2008), ou encore chargés d’une fonction symbolique (DiMatteo et al., 2002; Montagne, 1988; Pierron, 2009). Cependant, s’il arrive aux patients de dire que les traitements les «rendent malades» (Aïach et al., 1989: 74), comme cela est le cas avec la chimiothérapie ou la radiothérapie, ils ne considèrent pas pour autant ces traitements comme une maladie mais bien comme un moyen de «combattre» le cancer (Dany et al., 2005a, 2005b). Les patients vont jusqu’à être rassurés par la violence des effets secondaires du traitement, vécus comme un «signe d’efficacité», et peuvent être réticents face à la chimiothérapie orale (Reignier-Denois et al., 2005; Soum Pouyalet, 2007). De même, si les patients contaminés par le VIH et traités par trithérapie «(…) construisent une représentation plus importante des effets secondaires du traitementque celle des symptômes attribués à leur maladie» (Ferreira et al., 2010: 32), ce qui explique en partie leur moindre adhérence thérapeutique, il n’est jamais question d’un amalgame entre un traitement et une maladie.

10C’est souvent l’apparition de symptômes, révélateurs d’une anormalité corporelle, qui signe l’entrée dans la maladie pour le patient. Ainsi, les patients contaminés par le VIH et traités revendiquent que la notion de séropositivité soit dissociée de celle de maladie (Herzlich, 1998; Pierret, 1997). Dans le cas du cancer, Soum Pouyalet (2007) fait remarquer que: «Le cancer n’est pas une maladie qui “se voit” (…) Aussi, ce n’est pas tant la maladie qui est “stigmatisante” mais bien le traitement de cette maladie et ses effets secondaires définis par certaines comme “une seconde maladie”» (Soum-Pouyalet, 2007: 120). Dans ce cas, c’est l’apparition de signes possiblement «stigmatisants» (alopécie, en particulier) qui rapproche l’expérience du traitement et celle d’une maladie. Comme le cancer, l’insuffisance rénale n’est pas une maladie «qui se voit». Mais à la différence du cancer, le traitement par hémodialyse n’expose pas le patient à une transformation physique extérieure flagrante. C’est la raison pour laquelle nous préférons parler ici de signes que de stigmates liés à l’hémodialyse. Nous nous intéresserons aux formes particulières prises par ces signes (en dehors de la fatigue et des malaises) qui peuvent conduire les patients à ressentir les changements corporels et à amalgamer le traitement avec une maladie.

11Enfin, nous montrerons que l’exposition à la mort que les patients disent ressentir lors de la mise en place du traitement revêt un caractère central dans l’expérience de l’hémodialyse comme maladie (Aïach et al., 1989; Grimaldi, 2006). Nous nous efforcerons de comprendre ce qui fait naître ce sentiment, associé au traitement — l’hémodialyse — plutôt qu’à la maladie elle-même — l’IRT.

12Ainsi, nous montrerons que la rupture biographique, l’apparition de symptômes et de changements corporels et l’exposition à la mortalité — éléments généralement associés à l’irruption d’une maladie et à son développement — étayent l’amalgame que les patients font entre l’hémodialyse et une maladie [5]. Nous nous plaçons ainsi dans une perspective proche de celles développées par Herzlich et Pierret (1984), Pierret (1975, 1976), ainsi que Douguet (2000) sur le caractère traumatisant de certains traitements, sur l’infraction des techniques dans le corps des malades, et leurs effets sur les représentations qu’ils ont de leur maladie. Ces dimensions dressent les contours d’une expérience partagée de l’hémodialyse comme maladie dans la population enquêtée [6].

13Cet article s’appuie sur 35 entretiens réalisés auprès de patients insuffisants rénaux chroniques traités par hémodialyse et/ou greffe rénale, ainsi que des observations dans une antenne de dialyse de la région bordelaise et dans deux centres hospitaliers du Sud-Ouest (région Aquitaine) [7]. Les patients ont été principalement rencontrés sur les lieux de soins durant leur séance d’hémodialyse. Il s’agissait de patients majeurs, la moyenne d’âge étant de 54 ans [8]. Ils étaient tous traités par hémodialyse au moment de l’entretien, sauf 5 patients traités par transplantation rénale mais qui avaient été traités par hémodialyse auparavant (pour une moyenne de 4 ans avec des extrêmes de 9 mois à 13 ans).

14Le premier lieu d’enquête est une antenne de l’AURAD (Association pour l’utilisation du rein à domicile). Elle compte au maximum 10 postes de dialyse. Durant deux années, j’ai assisté aux trois séances hebdomadaires, depuis l’arrivée du premier patient jusqu’au départ du dernier. Outre 13 entretiens enregistrés avec des malades, cette immersion dans le «monde de la dialyse», ainsi que de nombreuses discussions informelles, m’ont permis de repérer des récurrences dans les comportements et les paroles des patients concernant leur traitement.

15À titre de comparaison, j’ai ensuite étendu l’enquête à deux centres hospitaliers de la région. Certains malades du premier centre étaient des «chroniques», habitués à venir «dialyser» dans ce service, mais la majorité d’entre eux effectuaient leur dialyse en antenne et, pour l’un d’entre eux, à domicile. Ils étaient à l’hôpital de façon ponctuelle, pour des problèmes de ponctions ou encore des retours après l’échec d’une greffe. J’ai effectué deux mois d’observation, étalés sur deux années consécutives, dans ce centre, et effectué 7 entretiens enregistrés. Dans le second centre, le service était beaucoup moins «lourd» et les malades y effectuaient leur dialyse régulièrement comme dans une antenne. Sur une période d’un mois, j’ai assisté tous les jours aux séances de dialyse, dès les branchements effectués tôt le matin (à 6h15) et jusqu’à ce que tous les patients soient partis et les machines nettoyées. Dix entretiens enregistrés ont été réalisés dans ce centre. Seuls 5 patients, traités par transplantation rénale, ont été rencontrés à leur domicile. Les entretiens semi-directifs s’effectuaient selon la méthode des récits de vie, le patient racontant comment il avait découvert sa maladie et le parcours qui avait été le sien depuis cet évènement (tant au point de vue médical que personnel). La durée d’enregistrement pour un premier entretien allait de 45 minutes à 3 heures. Ces entretiens étaient alors retranscrits, soumis à une analyse de contenu en utilisant une approche compréhensive et comparés de manière thématique (de Sardan, 2008).

16Ces données ont ensuite été enrichies au travers de mon expérience professionnelle actuelle comme attachée de recherche clinique au sein d’un service de transplantation rénale. Cela m’a permis de mener un nombre significatif d’entretiens supplémentaires. Cet article repose ainsi sur l’analyse d’entretiens auprès de 62 patients.

17Dans son article séminal sur l’expérience des patients atteints de polyarthrite rhumatoïde, Bury explique que «(…) illness, and especially chronic illness, is precisely that kind of experience where the structures of everyday life and the forms of knowledge which underpin them are disrupted» (Bury, 1982: 169). Ces ruptures sont si importantes qu’il utilise le terme «biographical disruptions» (ruptures biographiques) pour les caractériser [9].

18Selon la pathologie à l’origine de leur insuffisance rénale, les patients peuvent vivre plusieurs années après le diagnostic dans un état qu’ils qualifient d’à peu près normal. Les habitudes de vie sont modifiées à la marge, avec la prise de quelques médicaments et une surveillance de la consommation alimentaire pour ménager les reins. Un ensemble de consultations, d’échanges avec les soignants et d’actes médicaux scandent cette phase d’insuffisance rénale. Les patients expliquent que ce suivi n’a pas bouleversé leur vie jusqu’à ce qu’une consultation particulière fasse tout basculer. Sonia, dont l’insuffisance rénale chronique, d’étiologie indéterminée, a été découverte lorsqu’elle avait 14 ans, explique:«Dans un premier temps, j’étais suivie par un professeur, ici … qui me disait “Ne t’inquiète pas! La greffe, la dialyse … pas avant 20 ou 30 ans, puis d’ici là … la médecine, la science auront fait des progrès, donc t’inquiète pas’!” (Soupir) Donc, moi, ma vie … mes études … fonder une famille et tout ça …

19– Oui, vous n’aviez rien remis en question …

20– Non, non, voilà! Je me suis dit allez, 30 ans … J’en ai 14 … ça fera 44, 45 ans, c’est bon, j’aurais le temps de tout faire! Et un jour, je viens en visite comme je venais régulièrement … J’avais 10 ans … “Bon, ben, là, il faut qu’on pense à prendre rendez-vous pour faire la fistule[10], parce que dans 6 mois, tu dialyses!”. J’avais 19 ans, je vais en avoir 43, je me revois encore dans le bureau quand il m’a dit ça! (Silence) Parce que là, c’est tout qui change! Là, c’est … Les études, c’est terminé! (Silence) La vie de famille, c’est … (Elle souffle) On ne sait pas! C’est fortement compromis. Et dialyser à 19 ans, mais moi, je n’avais pas prévu ça! (Rire ironique) À 19 ans, on n’envisage pas …» (Sonia, Bordeaux).

21Plus que le diagnostic d’insuffisance rénale ou le suivi régulier, c’est l’annonce de l’imminence de la dialyse, traduisant l’incertitude quant à son futur, qui constitue la «rupture biographique» pour Sonia.

22Le cas d’Odette est également illustratif. Elle a vécu 15 années en insuffisance rénale, suivie régulièrement par son néphrologue sans jamais ressentir le besoin de se renseigner précisément sur le traitement qui devait la concerner un jour. La première prise de conscience de son état a lieu un an avant la première dialyse:«Il (le médecin) m’a dit: “Écoutez, je ne sais pas trop comment vous dire, on va mettre une fistule parce que comme ça, le jour où ça arrivera, vous serez … Comme ça, elle aura le temps de pousser toute seule”. Je suis restée 3 mois en maison de repos et puis … Mais enfin, elle n’avait pas l’air trop de vouloir prendre! Et puis après, quand il a fallu, quand je suis arrivée à l’hôpital le 30 janvier 95, j’étais prête.

23– Et au moment de la pose de la fistule, tu as eu quels sentiments?

24– Ben j’ai eu le sentiment d’être une autre personne. Je vivais une autre vie …» (Odette, région bordelaise).

25La création de la fistule marque un moment charnière dans le récit de maladie des personnes. Audrey, qui se savait atteinte d’une polykystose rénale, regrettait que sa fistule ait été créée un an et demi avant la première dialyse, elle disait: «C’est un peu l’épée de Damoclès, on sait, on a la fistule». Même si ce premier acte chirurgical n’a pas bouleversé sa vie, Audrey y avait reconnu le premier pas vers une seconde étape, désormais incontournable, celle de l’hémodialyse, qui serait la réalisation concrète de ce sentiment de menace associé à la fistule. Ainsi, la maladie qui préexiste à la dialyse se révèle dans sa dimension menaçante lorsque les actes médicaux auxquels sont soumis les patients annoncent précisément ce traitement.

26Odette témoigne cependant du choc ressenti au moment de la première dialyse, en dépit de la création anticipée de son abord: «Ils t’avaient emmenée faire un tour dans le service de dialyse …

27– L’infirmière m’y a emmenée … quand on m’a posé la fistule, un an avant la dialyse. Mais j’avais oublié! Et puis, le soir quand ils m’ont dit qu’il allait falloir dialyser (exclamation de peur, d’inquiétude)!» (Odette, région bordelaise)

28La pose de l’abord est vécue comme une anticipation concrète, déjà inscrite dans le corps, de l’aggravation de la maladie; elle est en quelque sorte la préfiguration de la «rupture biographique» qui sera réellement validée lors de l’application du traitement.

29Deux points extraits des entretiens confirment le sentiment de rupture biographique lors de la première dialyse. Tout d’abord, les patients relient généralement le moment de la première dialyse à un évènement déclencheur dans leur biographie. La production de sens a posteriori est ici systématique. Odette explique que c’est l’accident de son fils qui a «fini de lui péter le rein»; pour Antoine, c’est la maladie de sa mère, pour Audrey, les soucis de sa fille et la mort d’un vieil homme auquel elle était attachée. Autant les patients rencontrés cherchent rarement des raisons à leur maladie chronique, autant ils cherchent activement des raisons à leur mise en dialyse. Ensuite, les patients utilisent un champ lexical particulièrement significatif pour parler de leur première dialyse: ils parlent de «cap», de «montagne», de «mur», de «coup de massue», ils expliquent qu’ils sont «tombés» en dialyse, que «le ciel leur est tombé sur la tête», que la dialyse «leur est tombé dessus, tout d’un coup, du jour au lendemain», que «ce coup de la dialyse», c’est «un grand coup». Cette première dialyse est, dans tous les cas, associée aux images de choc, de chute et de changement brutal.

30Comment expliquer que l’annonce de cette première dialyse et sa réalisation puissent provoquer une telle sensation d’effarement? La réponse à cette interrogation est d’abord liée au caractère asymptomatique de l’IRC avant sa phase terminale. Les malades ont souvent l’impression de subir une traîtrise de la part de cette maladie quand survient la première dialyse. Ils ont vécu pendant plusieurs années se sachant affectés par une insuffisance rénale mais se sentant malgré tout en bonne santé. Il se produit alors un phénomène d’oubli durant cette période, au point qu’une patiente, Marianne, bien que se sachant insuffisante rénale depuis son adolescence, a subi sa première dialyse en urgence. «Déjà ça a commencé quand j’étais petite, j’ai eu mon insuffisance rénale à ce moment là. Donc j’étais suivie assez régulièrement quand même et puis vers l’âge de 13, 14 ans, on m’a enlevé un petit morceau de rein pour l’analyser. À ce moment là, c’était bon, tout fonctionnait normalement, mais je savais qu’à un moment ou à un autre de toutes manières, j’allais y arriver à la dialyse (…)

31– Les médecins t’ont dit qu’il fallait que tu dialyses …

32– Ils ne me l’ont même pas dit, ça a été en urgence! Rien n’a été signalé. Ce qui fait que je me suis retrouvée, de but en blanc, comme ça (…) Moi, je ne savais pas du tout comment ça se passait. On m’avait dit qu’un jour j’y arriverai mais on ne s’était jamais renseigné sur ce qu’était vraiment la dialyse» (Marianne, région bordelaise).

33La première dialyse marque alors l’entrée dans la maladie perturbatrice et, à partir de cet événement, l’oubli ou le déni caractéristiques de la première période chronique ne sont plus possibles. Il convient de noter que, même lorsque l’IRC est découverte tardivement, nombre de patients passent par cette phase d’oubli, voire même de négation, de la maladie. C’est ce qu’illustre le cas de Rose: entre le diagnostic d’insuffisance rénale et la phase terminale où elle a eu besoin du traitement par dialyse, elle en était arrivée à penser que les médecins s’étaient trompés dans la mesure où elle ne souffrait pas. Cette absence de signe alarmant est un élément important de compréhension des premières formes de l’expérience de la maladie. Samuel avait été alerté à plusieurs reprises par la médecine du travail d’une grave anomalie dans ses analyses d’urine mais, sur les conseils de son médecin traitant de l’époque, ne s’en était pas vraiment inquiété. Ce n’est qu’au bout de plusieurs années qu’il se rend compte qu’il «commence à gonfler» et qu’il est dérangé toutes les nuits par l’obligation d’aller uriner à plusieurs reprises [11]. Cet épisode s’est terminé par un coma gravissime dont Samuel se sortira in extremis. Comment s’imaginer être atteint par une maladie catégorisée en maladie grave par le corps médical alors que la personne ne ressent aucune douleur ou désagrément majeur? Ce qui semble primordial dans cette inattention envers la maladie au quotidien, c’est donc le rapport à la douleur et aux symptômes, élément central dans l’expérience d’être affecté par une pathologie chronique grave (Le Breton, 1995, 2000; Leder, 1990; Leriche, 1951). Le surgissem*nt brutal de la souffrance, qui s’annonce avec la fistule et se déploie au moment de la mise en dialyse, marque la rupture dans la vie du malade affecté jusque là par une maladie qui le laissait vivre quasi-normalement.

34Cette expérience n’est pourtant pas l’apanage des patients traités par hémodialyse. En effet, d’autres maladies mortelles peuvent avoir ce caractère asymptomatique, qui disparaîtra au moment de la mise en place des traitements: le sida et le cancer, par exemple. Une seule prise de sang peut révéler à un individu sa contamination par le VIH alors qu’il n’en ressent encore aucun symptôme (Ferreira et al., 2010) et c’est la mise en place de la trithérapie qui l’expose à des effets secondaires. Mais, à la différence du diagnostic d’insuffisance rénale, l’annonce de la contamination par le virus est une cause de «rupture biographique», comme l’analyse Pierret (1997), et la période de vie qui s’enclenche avec l’annonce est souvent l’occasion d’un «remaniement identitaire» qui ne se vit que très exceptionnellement dans l’oubli ou dans le déni.

35S’agissant du cancer, Soum Pouyalet explique que cette affection n’étant pas une «maladie qui se voit», la mise en place des traitements, avec leurs effets secondaires, est vécue comme «une seconde maladie» (Soum Pouyalet, 2007: 121). Effectivement, le développement des campagnes de prévention — en particulier, en ce qui concerne le cancer du sein — permet la détection de cancers alors que les personnes n’ont expérimenté aucun changement corporel (Ansellem et al., 2007; Barreau et al., 2004; Soum Pouyalet, 2007). Ces analyses font dire aux chercheurs que «si le diagnostic de cancer confronte le patient à la question de son devenir et de la mort (…) la mise en œuvre d’un traitement va entériner ce nouveau statut» (Dany et al., 2005a: 57), que c’est le «traitement qui formalise l’entrée effective dans la maladie» (Reignier-Denois et al. 2005: 168). Le début des traitements constituerait alors «une seconde rupture biographique» (Tarquinio et al., 2002).

36C’est précisément cette question de «seconde rupture», de «seconde maladie» qui marque la différence entre l’expérience de ces patients concernés par un cancer ou par le sida et celle des patients insuffisants rénaux chroniques. Les études que nous avons mentionnées s’accordent toutes pour souligner que la première rupture ressentie par les patients a lieu au moment de l’annonce du «diagnostic» [12] et que les traitements renvoient avant tout à l’image de la maladie qu’ils combattent [13].Le traitement par hémodialyse renvoie rarement les patients à la représentation de l’insuffisance rénale terminale et la première «rupture biographique» en lien avec cette affection [14] ne correspond pas à l’annonce du diagnostic d’IRT mais à l’annonce de la nécessité du traitement par hémodialyse. La mise en place effective de l’hémodialyse n’est alors pas une «seconde rupture biographique» mais la réalisation concrète de cette «première rupture» anticipée.

37Nous avancerons deux explications à ce phénomène. Si les patients atteints d’un cancer peuvent espérer que le traitement les guérisse (Dany et al., 2005a, 2005b), pour les patients insuffisants rénaux, l’hémodialyse est un traitement palliatif qui ne rétablira jamais leur fonction rénale. Le traitement n’est pas là pour «combattre» une maladie (ou retarder l’échéance de son apparition symptomatique, comme c’est le cas pour la trithérapie) mais pour pallier une défaillance organique à jamais acquise [15]. Ainsi, les patients oublient le diagnostic d’insuffisance rénale puisqu’ils ont déjà «perdu» contre cette maladie dès l’instant où ils ont commencé la dialyse.

38La seconde explication réside dans la représentation de la maladie initiale même. Comme l’écrit Laxenaire, «toute maladie porte en elle, avec l’angoisse qu’elle suscite, l’image de la mort. Mais elle le fait avec des degrés divers, selon sa nature, sa durée, sa renommée» (Laxenaire, 1980 in Aïach et al., 1989: 34). Or, si le cancer et le sida souffrent d’un «surcroît» de représentations négatives associées à l’idée de mort comme l’ont souligné avec une certaine constance de nombreux sociologues (Aïach, 1980; Da Silva, 1999; Herzlich et Pierret, 1984; Kaufmann, 1989, Ménoret, 1998; Sontag, 1979, 1989), l’insuffisance rénale terminale souffre de ce que nous pourrions appeler «sa petite renommée». Il est courant, lors des entretiens, que des patients nous confient: «La dialyse, c’est contraignant mais ça aurait pu être pire, j’aurais pu avoir un cancer!» [16], «Y’a plus malheureux que nous, ce n’est pas comme un cancer» alors que l’IRT est une maladie qui, en l’absence de traitement, est plus rapidement fatale que le cancer. Solenne parle ainsi de sa rencontre avec le néphrologue: «On me dit, “C’est le néphrologue”, J’ai dit “Qu’est-ce que c’est que cette bête là?”, je n’avais jamais entendu ça! (Rires) Un néphrologue, je ne savais pas ce que c’était! Pour moi, c’était du chinois! Je connaissais pas mal de trucs mais là…» (Solenne, Dordogne)

39En dépit du nombre croissant de patients insuffisant rénaux chroniques, la néphrologie demeure une discipline méconnue [17] et l’insuffisance rénale une maladie dont on parle peu. Lorsqu’un diagnostic d’insuffisance rénale est fait, les patients ont rarement des représentations attachées à cette maladie, susceptibles de soulever un sentiment d’exposition à la mort. Ce diagnostic est abstrait d’autant plus qu’il est rapidement mis de côté par les médecins eux-mêmes qui s’empressent de dire aux patients qu’il existe un traitement à leur maladie: l’hémodialyse [18]. À partir de ce moment tout est orienté autour de la mise en place de ce traitement (création de la fistule, surveillance des taux de créatinine, d’urée, etc. pour décider d’une date de début du traitement) et il est rarement question d’insuffisance rénale terminale [19].

40

«C’était en 2002 (Silence) Ouais, 2002 (Silence) Et puis après … Bon, l’année d’après, je suis revenu ici et là … c’est monsieur M. (néphrologue) qui en me faisant un … (Fait le geste de toucher son dos avec le doigt, ne trouve pas le terme).
– Une biopsie?
– Une biopsie, a découvert que j’avais besoin de la dialyse. C’est lui qui me l’a annoncé. Voilà».

41Dans cet extrait d’entretien, on voit bien combien la pathologie est occultée par rapport au traitement. Mathieu passe de la biopsie à la nécessité de la dialyse, sans évoquer le diagnostic lié à l’insuffisance rénale.

42L’une des premières logiques pouvant permettre de comprendre l’amalgame entre le traitement et une maladie tient donc à la forme particulière des «ruptures biographiques» expérimentées par les patients. Il nous faut désormais approfondir les raisons pour lesquelles l’hémodialyse suscite ce vécu. Ayant retenu comme second point d’analyse le lien entre maladie et symptômes, nous allons voir comment le traitement s’inscrit dans cette perspective.

43Avec la mise en dialyse, le patient vit un paradoxe en ce qui concerne son rapport au corps. D’un côté, la maladie — l’IRC — permet une certaine préservation de l’image corporelle extérieure et sa non-visibilité est un aspect de la maladie fréquemment souligné par les patients qui évoquent le confort moral de cette situation. D’un autre côté, le traitement — l’hémodialyse — révèle le corps interne et l’anormalité de son fonctionnement. Cette anormalité se manifeste autour de trois expériences corporelles précises: la soif intense à laquelle les patients ne peuvent répondre, et qui concerne les femmes comme les hommes, l’anurie et les problèmes sexuels, davantage associés au vécu des hommes dialysés. Bien que n’étant pas tous directement liés au traitement, ces signes sont souvent interprétés comme symptomatiques du traitement.

44Le patient sait que le contrôle de sa soif, qu’il ressent souvent douloureusem*nt, est un facteur essentiel du maintien d’un état de santé correct. Pour vivre, il doit renoncer à répondre à une exigence primaire de son corps et lutter contre ses signaux qui, ordinairement, apparaissent afin que l’homme y satisfasse. Samuel présente très bien ce fonctionnement anormal du corps et les signaux désespérés qu’il envoie: «On a soif… Imaginez, quand vous avez très soif… et vous êtes tout le temps comme ça, et vous ne pouvez pas boire! Ça rend dingue! Ça rend dingue! Quand on est dialysé, le corps est… plus il se remplit de déchets, plus il appelle de l’eau pour que les reins les filtrent… Génial! Normal, hein! Et donc le corps analyse ça comme de la déshydratation. Il est trompé, le corps! Parce qu’en fait, naturellement, quelqu’un qui n’a plus de fonction rénale, il n’est pas vivant! Ce n’est pas possible naturellement! C’est un total manque de naturel! Donc le corps, les récepteurs, les machins, les trucs, on m’a expliqué, dans le cerveau, ils sont complètement trompés! Donc, comme on est vivant (…) les reins doivent fonctionner, donc si l’urée augmente dans le corps, immédiatement le cerveau envoie un message pour qu’on ait très soif, pour qu’on boive et que les reins éliminent l’urée. Et plus l’urée monte entre deux séances et plus on a soif! Et c’est la principale cause de mortalité en dialyse. Les gens boivent, c’est insupportable! Les infirmières ne comprennent pas, je les ai envoyées balader plusieurs fois! Parce qu’ils n’ont pas soif, eux! (…) C’est une sensation de soif que vous ne connaîtrez jamais!» (Samuel, Dordogne).

45L’hémodialyse, loin de résoudre le trouble corporel, produit un fonctionnement anormal du corps, incapable de résoudre l’incohérence existant entre ses demandes physiques (la soif) et ses besoins médicalement justifiés (la restriction hydrique).

46Le fonctionnement anormal du corps est ensuite appréhendé par les patients à travers l’anurie ou l’oligurie dont ils souffrent. L’anurie est directement liée à l’IRT, pourtant certains patients disent que «depuis la dialyse, ils ne pissent plus». L’extrait d’entretien suivant témoigne de la construction de cette causalitéprofane: «On m’a hospitalisé pour une dialyse … la première fois en me disant … c’était un samedi: tu dialyseras tout de suite!On m’a fait la fistule, comme ça, tout de suite (…) Mais j’avais une diurèse normale, vous voyez? Et … Je dirais … une activité sexuelle normale. On m’a … On m’a fait la première séance de dialyse … (Silence) À l’instant, je n’ai plus eu de diurèse, ça été tout de suite, en 24 heures! Et j’ai … euh … (souffle) Je n’ai plus eu, non plus, d’activité sexuelle et voilà …» (Charles, région bordelaise).

47L’anurie et l’impuissance sont étroitement liées dans l’esprit des patients [20]. Ils les appréhendent comme la conséquence directe de la dialyse, bien que cette représentation s’écarte des données médicales. Bernard, à l’instar de nombreux autres hommes rencontrés, attribue ses difficultés sexuelles au processus d’épuration: «Bon la sexualité c’est vrai que … Quand on est dialysé c’est … Ça tombe à zéro. Et même chez les jeunes! Et moi, j’en ai parlé avec des jeunes. Bon, y a quelques cas. La première année peut-être, mais après ça tombe à zéro. Si on a plus de sang! Le sang … qui se promène dans ces tuyauteries (désigne la machine), tous les deux jours pendant quatre heures et pendant des années … Qu’est ce qui fait la vitalité d’un homme? C’est le sang!» (Bernard, région bordelaise).

48La perte de sa force est associée à la circulation extracorporelle et à l’idée d’une perte de sang; or, le sang est bien réintégré à l’organisme après sa filtration mais cet élément de connaissance dont disposent les malades par les échanges qui s’établissent avec les soignants, de même qu’entre malades «dialysés», n’est pas intégré dans le raisonnement que les patients tiennent autour de ce fluide qu’ils voient «sortir» de leur corps. Cette interprétation est aussi présente chez les femmes, comme en témoigne Rose qui nous déclare, alarmée par ses cinq heures de dialyse: «Plus ça pompe, plus ça assèche …»: Rose imagine déjà les crampes, les malaises survenant après la séance, qui vont mettre son organisme au supplice et finalement menacer sa vie. La machine est alors dotée d’une vie propre, et «vit» grâce au sang des malades qui doutent parfois de la justification de leur mise en dialyse, la jugeant précipitée, le traitement étant identifié comme responsable de tous les symptômes endurés.

49Ainsi, si les patients traités par hémodialyse conservent, par l’image d’un corps non altéré, un repère rassurant [21], les représentations du corps «interne» en lien avec l’application du traitement sont beaucoup plus complexes. Enveloppe extérieure, celle de la mise en scène de soi, et tourments intérieurs liés au vécu intime, telle est la dichotomie que nous avons relevée au regard des expériences des malades. Entre ces deux espaces, un lien: l’abord [22]. En partant des représentations de l’abord artérioveineux, indispensable pour le traitement par dialyse, nous allons montrer que cet accès sanguin cristallise les sentiments d’anormalité corporelle des patients par le biais de deux phénomènes: l’envahissem*nt du corps et l’exposition du corps interne aux sens des patients.

50En premier lieu, l’abord et la dialyse «envahissent», voire «contaminent», le corps du patient. L’abord est le premier indice de ce corps étranger qu’il va falloir apprendre à «reconnaître». L’expérience de Caroline en est une illustration. À propos de sa fistule, elle explique:

51

«J’ai eu beaucoup de mal à toucher mon bras.
– Pourquoi, par rapport à la vibration?
– Ah c’est horrible ça, alors là, je ne supporte pas! Les bruits, la vibration, quand je lis, je mets ma main (de façon à ne pas l’entendre)… Quand je m’endors, je dors avec la main sous l’oreiller ou ça résonne! Et la chaleur! Le bras est chaud. Bon maintenant je peux le toucher, mais au début j’y arrivais même pas!
– Maintenant ça va?
– Oui. Mais j’ai fait un blocage (…) J’avais peur de tout et la première fistule, ils l’ont fait en octobre, et je crois que j’ai recommencé à bouger mon bras en décembre. Je ne pouvais plus rien faire! M’habiller, j’avais le bras comme ça (elle fait pendre son bras comme s’il était “mort”)… On pensait même qu’il allait me falloir de la rééducation! Impossible de m’habiller, impossible de me laver… Je passais deux heures dans la salle de bain à me laver avec la main gauche!».

52Caroline avait beaucoup de mal à s’imaginer que ce bras, devenu à la fois plus bruyant et plus chaud que n’importe quelles autres parties de son corps, puisse encore lui appartenir. Ce sentiment d’étrangeté a été particulièrement violent et long à apprivoiser dans son cas mais, de manière récurrente, la fistule est perçue dans un premier temps comme étrangère au reste du corps. Elle «prend» en vous et il faut un certain laps de temps pour que le malade l’accepte comme une partie de lui-même. Le langage «horticole» est répandu pour évoquer cette fistule, elle «pousse», elle «mûrit», telle une graine que les médecins (qui parlent d’ailleurs «d’exploitation de la fistule qui se passe bien») auraient plantée et qui commence sa croissance. Un tel langage renvoie au sentiment d’étrangeté et il révèle également le caractère «végétal», donc vivant de l’abord.

53C’est lorsque cette fistule menace «d’envahir» le corps du patient qu’elle s’érige en symptôme. Caroline confiait ainsi sa peur de voir sa fistule se développer, comme cela s’était passé pour son oncle, et former de «longs tuyaux», le corps se transformant peu à peu en machine en ayant l’abord comme point de départ à cet envahissem*nt. Cette image du corps-machine, tout en étant courante dans notre culture, est exacerbée par la mise en place du traitement par hémodialyse. Le patient est réellement relié à une machine et son corps, par «contagion», en devient une. Pour certains patients l’hémodialyse apparaît ainsi comme une maladie qui les contamine à chaque séance davantage (les abords se développent avec le temps passé en dialyse). Jean souligne, par exemple, les sentiments d’étrangeté et de menace que peut susciter la fistule: «Elle vous gêne la fistule ou pas du tout?

54–Elle me pique terriblement! Elle me chauffe.

55– Ah oui! Pendant la dialyse?

56– Non, pendant la dialyse, rien! Mais souvent à la maison, elle me chauffe» (Jean, Dordogne).

57La fistule ne cesse de manifester douloureusem*nt son existence à Jean dès l’instant où il n’est plus en dialyse. Seul le raccordement avec la machine stoppe cette manifestation physique, c’est-à-dire lorsque la fistule remplit le rôle pour lequel elle a été créée et qu’elle fusionne avec la machine. Pour Jean, la fistule n’est pas sienne, elle appartient au corps de la machine. La fistule est un élément de la machine qui l’envahit, produisant des douleurs qu’il ne maîtrise pas. Elle devient, en dehors des séances, le symptôme persistant de sa maladie qu’est l’hémodialyse.

58En second lieu, l’abord et la dialyse exposent le corps «interne» aux sens du patient. Cet abord, généralement la fistule artérioveineuse, permet «l’ouverture» du corps et la «sortie» du sang. L’abord est une porte, ou plutôt un bouchon [23] que l’on enlève périodiquement mais qui, le reste du temps, accomplit son œuvre de rétention des fluides. Les patients l’envisagent comme un point fondamental de leur corps d’où leur sang pourrait s’échapper. Au niveau de cet abord, «ça circule!», comme si, dans les représentations profanes, une grande quantité de sang se concentrait à cet endroit n’attendant plus que l’ouverture pour jaillir de manière incontrôlable tant la pression y est importante. Effectivement, concernant le fonctionnement physiologique, en liant une veine à une artère, la circulation au niveau de l’abord est plus importante que dans une veine ou une artère normale; mais le patient donne un supplément de sens à cette base physiologique qui lui est sommairement expliquée [24], et s’en construit une image précise à partir de trois de ses sens: la vue, l’ouïe et le toucher.

59Voyant le sang véhiculé en très grande quantité, environ 70 litres de sang passent durant une séance de dialyse dans la machine, par le biais de cet abord, que se passerait-il s’il ne se «fermait» plus? De plus, il arrive que les abords ne tiennent pas le rythme des dialyses, alors les veines «pètent», provoquant des hémorragies assez impressionnantes [25]. L’infirmier se précipite en général pour exercer une pression sur l’abord et il ne ménage pas ses forces! L’importance et la force de l’écoulement sanguin s’exposent au regard du patient qui ne peut désormais que craindre les éventuelles ouvertures de son abord.

60L’ouïe entre également en compte pour appréhender les représentations que le malade se fait de l’abord car la fistule fait du bruit. La nuit particulièrement, les dialysés (et leur conjoint!) entendent le son de ce sang qui circule, tel un murmure régulier, et savent qu’il provient de l’abord: «On entend comme le tonnerre!» disait un patient. Une circulation sanguine normale est silencieuse, pour qu’elle devienne bruyante c’est que la création de l’abord constitue une anomalie qui s’explique par cette pression sanguine inhabituelle.

61Mais le toucher est certainement le sens qui contribue le plus à la crainte de voir l’abord s’ouvrir. Lorsqu’un soignant touche une fistule [26], cela procure l’impression que sous les doigts bat un petit cœur. Sous ces doigts, derrière cette compresse, c’est le sang qui cogne aux parois, à quelques millimètres sous la peau, comme s’il se forçait un passage pour sortir. On se demande alors si la coagulation naturelle suffira à refermer la fistule et à juguler ce flot qui pousse fort de l’intérieur vers l’extérieur. Nous discernons alors la complexité de la relation que la personne dialysée entretient avec son abord. Celui-ci doit s’ouvrir pour la séance, donner accès à l’intérieur du corps du patient et se fermer en dehors, pour empêcher que le chaos interne ne contamine l’espace externe.

62Comme l’écrit Durif-Bruckert (1992), le caractère anormal d’un corps ou d’un organe est décelé lorsqu’il devient «bruyant», c’est dans le silence que le corps exprime sa bonne santé. Ainsi, les symptômes de l’insuffisance rénale peuvent être attribués au traitement car c’est en raison de son procédé, de cet abord créé pour son application, de ce corps «interne» exposé aux sens, que le patient a conscience de l’anormalité du fonctionnement corporel.

63Un dernier point reste à étudier pour comprendre en quoi l’expérience du traitement peut s’apparenter au vécu d’une maladie: l’exposition à la mortalité.

64Le traitement par hémodialyse, telle une maladie, présente deux fonctions latentes: il crée chez le patient le sentiment de sa vulnérabilité et lui rappelle concomitamment dans son quotidien le caractère fragile et éphémère de sa vie. Dans les discours des patients, la présence de la mort et son inéluctabilité sont des thèmes fréquemment abordés, soit pour dire que sans la dialyse, au bout de quelques jours, c’est «l’arrêt du cœur», qu’ils seraient «déjà au cimetière», soit pour exprimer leur conscience plus aiguë de la mort depuis leur mise en dialyse: l’affaiblissem*nt que la dialyse instaure, les malaises qui l’accompagnent rappellent constamment au malade qu’il est vulnérable, donc mortel. Ce sentiment d’exposition à la mort lié au traitement n’est pas indépendant des conditions de sa première présentation par le corps médical: «Ils ont eu une approche psychologique extraordinaire, l’interne m’a dit “Bon, le mieux, moi je vais te montrer ce qu’est la dialyse, tu vas voir, t’auras pas peur!”. Il vient me chercher et il m’a emmené voir la dialyse!

65– Vous ne saviez pas du tout ce que c’était?

66– Je n’en avais jamais entendu parler de ma vie! Et il m’a emmené voir la salle d’urgence (insiste sur ce mot) où il y avait un type en train de mourir d’un cancer généralisé, qui était dans le coma. Je me rappelle parfaitement de son visage (…) Bon, vraiment ça m’a marqué… Il me semblait que je n’avais plus qu’à mourir…Et il était en train de crever, il était (imite un râlement)… Il râlait et il avait deux aiguilles plantées dans le bras. (Juron)! Oh, moi je leur ai dit, “Moi, je ne dialyse pas!”» (Samuel, Dordogne).

67La maladresse de l’interne quant à la présentation du traitement est relatée ironiquement mais elle ne masque pas la terreur qu’a ressentie Samuel en découvrant l’hémodialyse [27]. Heureusem*nt, dans le centre où il subira sa première dialyse, il aura l’occasion de visiter un service de dialyse plus «conventionnel» et en sera rasséréné. Nonobstant cet apaisem*nt, la mort n’a pas quitté les pensées de Samuel qui restera marqué par ce qu’il a traversé, chaque séance de dialyse réactivant ses angoisses morbides. La séance implique une immobilisation, un arrêt des activités quotidiennes, des pertes de conscience, autant d’éléments qui font sentir au patient que la mort rôde en hémodialyse. Cette mort qui rôde frappe quelquefois inévitablement. Frédéric, traité par transplantation, dit: «Je ne supportais plus la dialyse physiquement et moralement. J’ai vécu trois décès pendant mes séances. Ils étaient comme moi, de mon âge et ça m’a marqué. J’étais atteint … Psychologiquement réduit» (Frédéric, Bordeaux).

68Mais, à côté de ces éléments, le sentiment d’exposition à la mort s’établit au travers de changements dans deux registres différents: dans les représentations du temps, d’une part, dans le rapport au sang, d’autre part.

69Quand une semaine est scandée par trois rendez-vous incontournables au cours desquels une personne doit se livrer aux mêmes gestes pendant des périodes de durées égales, on peut penser que la perception que ces personnes ont du temps est sujette à des modifications. Eva, greffée depuis plus d’un an, nous éclaire à ce sujet: «Depuis que j’ai été greffée, je revis (…) déjà, on recommence à faire quelques projets, parce qu’il faut se dire que quand on dialyse on ne fait pas de projet. On vit au jour le jour, on sait que tous les deux jours il y a une dialyse. On ne sait pas comment elle va se passer mais … Il faut y aller. Et puis on passe des périodes où on est très très mal. On vit comme un zombi. Parce qu’on y va, le jour où on y va, on est relativement bien, bon je passe la soirée, le lendemain on est fatigué de la dialyse. Quand on arrive à être mieux, on repart en dialyse. Donc, on fait ça et les semaines passent et les années passent et les mois … Et, en fait, je me rends compte que c’est très éprouvant pour le couple. On se dit qu’il faut vivre sans projet et vivre sans projet c’est dur» (Eva, Dordogne).

70Cet extrait illustre l’impression d’être enfermé dans un temps cyclique et non plus linéaire et ce sentiment se traduit par l’abandon des projets. La projection dans l’avenir devient improbable [28]. Cette idée de temps cyclique entraîne, par ailleurs, une perception d’accélération de l’écoulement temporel. L’extrait d’entretien suivant va mettre en lumière combien ce sentiment est lié aux retours trihebdomadaires en dialyse: «Et la dialyse, ça a changé quelque chose par rapport à votre perception de ce temps?

71–Non, non. La seule chose que je trouve, c’est que les jours passent trop vite! Qu’il faut vite… (Signes de la main pour désigner la salle).

72– …revenir en dialyse…

73– Oui (Rires)! Ça, c’est un calvaire!» (Solenne, Dordogne).

74Solenne ressent une accélération de l’enchaînement des jours, due aux obligations de présence en dialyse. Dans l’emploi du terme «calvaire», nous devinons la question de cette mort qui affleure. Les séances de dialyse procurent le sentiment d’une accélération du temps, en cela, elles donnent aux patients une certaine conscience de leur mort: «Ça coupe tout … On n’attaque rien, on devrait dire, parce que ça perturbe … Ça perturbe … Alors ce qu’il y a, c’est que les semaines, ça passe à une vitesse! Ça passe beaucoup plus vite. Parce que là le lundi je viens, après c’est le mercredi, entre il y a un jour de repos, alors le mercredi arrive, ça y est, après c’est le vendredi, là c’est fini, la semaine est morte … En l’espace d’un rien de temps» (Maxime, région bordelaise).

75Les séances de dialyse compliquent l’élaboration de projets, certes, mais surtout elles agrippent le temps du malade, elles le lui dévorent. C’est une angoisse décelable dans les propos souvent émis par les patients qui expliquent qu’ils «n’ont pas beaucoup de temps», tels des condamnés à mort qui savourent un sursis face à cette inévitable échéance de mort. A contrario, durant la séance même d’hémodialyse, le temps a tendance à s’étirer. Grimaldi écrivait: «La maladie chronique vient bouleverser les représentations du temps et ne manque pas de soulever l’angoisse de mort» (Grimaldi, 2006: 3). L’hémodialyse, comme une maladie chronique, bouleverse effectivement ces représentations du temps et «soulève l’angoisse de mort».

76Ce sentiment d’exposition à la mort est exacerbé par la manipulation sanguine que suppose le procédé d’hémodialyse. La littérature anthropologique est fournie en ce qui concerne les représentations associées à ce fluide et à sa vision, et certaines analyses font écho aux propos tenus par les personnes enquêtées durant cette recherche. Ainsi, certains auteurs mentionnent le caractère ambigu du sang dans un rapport dual avec la vie et la mort: «Faire couler le sang c’est enlever la vie. Ainsi va le langage de sa fonction rituelle, figurative. En réalité, bien sûr, le sang peut couler d’une blessure sans que la vie soit enlevée, ni même en danger, mais cette contradiction fixe bien l’ambivalence du sang. Caché dans le corps il est la condition de la vie. Répandu, il signifie la mort» (Héritier, 1987: 99).

77Ce sont avant tout les écoulements et la vue du sang qui symbolisent le danger [29]. D’ailleurs, lorsque les malades racontent leur première visite d’un service d’hémodialyse, ils signalent systématiquement la vue du sang circulant à travers les lignes. Odette ne déroge pas à la règle: «Quand j’ai vu cette machine … Et puis le sang, on le voyait partout … Au début, oh là» (Odette, région bordelaise).

78Les patients craignent généralement que le sang s’écoule hors des circuits prévus: «Tant que c’est dans les tuyaux, que ça ne tombe pas sur moi! Mais sitôt que ça saigne, alors là! (…) Dès que ça gicle, là! Là… on a peur de se vider» (Jeanne, Dordogne).

79Ainsi, certains malades, comme Jeanne, s’avouent inquiets par les saignements incontrôlés. Lévy Bruhl (1922) s’était intéressé aux émotions issues de ces écoulements non maîtrisés et Cazeneuve résume ainsi ses réflexions: «La fuite involontaire du sang est une image de la mort qui approche, et la mort défie toutes les règles dans lesquelles l’homme peut se fixer. Symbole de vie, le sang est un symbole de ce qui est angoissant dans la condition humaine. Quand le primitif verse volontairement son sang, il est maître de l’événement et son émotion, pour être inquiétante, finit par lui être naturelle puisqu’il la règle à son gré. Mais le sang qui coule sans qu’on le veuille n’est plus que mystère» (Cazeneuve, 1971: 96).

80Cet éclaircissem*nt fait apparaître que Jeanne et la majorité des patients sont parvenus à considérer le circuit de la machine d’hémodialyse comme un passage sanguin désormais normal. Mais, dès que le sang jaillit hors des circuits repérés, celui de son corps ou celui de la machine, l’angoisse et la crainte de la mort refont brutalement surface. Cette peur de la mort face à l’écoulement sanguin est renforcée par les événements que vivent, ou auxquels assistent, les dialysés. L’épisode relaté par Samuel, et sa manière de le faire, en témoignent: «En fait, le grand danger c’est s’il y avait une rupture sur la ligne veineuse. Sur le retour. C’est arrivé, une fois. Pas à moi, mais… Comme on est dans des débits de quatre à cinq cent millilitres par minute, deux minutes, c’est l’arrêt cardiaque! Moi, je n’ai jamais pu dormir parce que…. Pendant les six premiers mois, on m’a dit ça ne risque rien! Bon. L’alarme sonnera, pas de problème! Et puis le septième mois, monsieur D., un monsieur âgé, à côté de moi, très gentil… Et ben, les aiguilles sont sorties, parce qu’il a bougé, il dormait… Y’en a eu jusqu’au plafond! Et la machine ne s’est pas mise en alarme. Il a perdu un demi-litre de sang en trente secondes! Et puis il commençait à (Il siffle et fait un signe vers le bas pour dire que l’homme était en train de perdre connaissance)! Et il serait mort! Si les filles n’étaient pas arrivées, il serait mort! Donc à partir de là, j’ai dit aux filles: “Votre bordel, ça marche pas, donc à partir de maintenant, je surveille la machine”!»(Samuel, Dordogne).

81Si l’écoulement sanguin non maîtrisé est une menace pour la vie de l’homme, en hémodialyse cette représentation prend une acuité considérable, à la mesure de l’ampleur des débits sanguins mis en jeu dans le procédé de dialyse. En hémodialyse, le sang ne coule pas, il «jaillit», il «gicle», il «y en a jusqu’au plafond».

82La conscience de la mort en hémodialyse est également reconnaissable dans les discours portant sur la manipulation sanguine extracorporelle. Ainsi, pour Eva: «On est très angoissé. Moi, j’avais peur que le cœur lâche» (Eva, Dordogne). Pour elle, on ne «bricole» pas le sang impunément [30]. Les pertes de connaissance (ces morts symboliques) sont souvent attribuées à la manipulation sanguine, notamment au moment des premières dialyses, lorsque les patients ne sont pas «habitués» et décrivent la violence du procédé qui fait «perdre le sang d’un coup» (Antoine, Dordogne). Il n’est pas plus aisé de voir le sang, pompé par la machine, quitter son corps, certes pour y revenir, mais cet «entre-deux» est toujours porteur de risques. Certains patients soulignent que lorsque la «boucle» est constituée, que les lignes sont toutes les deux raccordées à leur corps et qu’ils peuvent y voir le sang circuler, ils n’éprouvent plus d’angoisse. Le sang a alors repris une place repérable, représentée comme normale, puisque son principe réside avant tout dans sa circulation.

83L’hémodialyse ouvre la voie à une circulation du sang différente de celle du corps, quand ce sang est réintroduit dans l’organisme du malade, il est changé, épuré, autre. L’anxiété des patients, présente pendant l’épuration, se poursuit alors parfois dans les moments suivants la dialyse: «J’ai commencé à avoir les angoisses pour arriver. En sortie de dialyse, c’était pareil, j’avais le cœur qui s’emballait, des fois le sang me montait là, je le sentais en moi …» (Lisa, région bordelaise).

84La circulation sanguine, ordinairement imperceptible, devient concrète avec le procédé d’hémodialyse qui entraîne des représentations très nettes de ce flux et les patients, comme Lisa, ont l’impression d’en «sentir» les mouvements. Cette sensation est éminemment anxiogène et la mort est immédiatement crainte. Lisa n’avait-elle pas le cœur qui «s’emballait», comme s’il ne parvenait pas à maîtriser ce sang, passé pendant quatre heures dans une machine au débit tellement plus rapide que celui de l’organisme, et se trouvait débordé? Le sang épuré, nettoyé, est certes empli d’une nouvelle vitalité mais le cœur, le corps de Lisa peinent à se le réapproprier. La peur de la mort réside aussi dans cette alternance de représentations à laquelle doivent se livrer les malades. La manipulation sanguine, dont on se préserve habituellement, est réitérée trois fois par semaine pour ces malades qui en envisagent nécessairement les conséquences fatales. L’hémodialyse est bien un traitement qui expose les patients à leur mortalité.

85Le traitement par hémodialyse se distingue d’autres traitements par le rapport qu’il établit avec le corps du patient. Alors que la plupart des autres traitements sont dirigés vers le corps des patients, lui sont appliqués et le «pénètrent» (qu’il s’agisse de médicaments, de chimiothérapies, de rayons), en hémodialyse, c’est le corps du patient qui est appliqué au traitement, qui est dirigé vers la machine et la «pénètre». La frontière figurée par la fistule entre la maladie (interne) et le traitement (externe) s’ouvre lors de chaque séance, mêlant ces deux espaces, créant l’amalgame. Mais pour clore l’exposé de ce travail, il nous faut souligner que cet amalgame ne prend pas la même forme pour tous les patients.

86Pour une partie d’entre eux, la maladie provient de cette machine contagieuse qui les «bouffe» alors qu’ils sont «sains». Bernard dit: «Parce que le fait d’être insuffisant rénal, on est sain quand même!», en contraste avec sa phrase que nous avions citée en ouverture à cet article dans laquelle il lie dialyse et maladie. Pour une autre partie des patients, la maladie provient de leur corps et «reste» dans cette machine qui, si elle accomplit son œuvre, devient la figure de cette maladie qu’elle retient. Laura, comme beaucoup d’autres patients, refuse l’idée d’une dialyse à domicile:«Pourquoi? Pas la maladie à la maison! (…) Je n’ai pas envie que chez moi, on voit la machine, les machins, les trucs! (…) Je n’étais pas malade moi! J’étais accidentellement … insuffisante rénale dans la journée. Quand je me mettais à dessiner sur mon chevalet ou quand je me mettais à faire des choses comme ça … Ce n’était pas la dialysée qui faisait ça! C’était Laura! Donc effectivement, j’étais dans la vie … Il y avait une partie de moi, c’était la dialysée, c’était la malade, c’était ça! Mais, ma vie Laura, n’était pas la malade! C’était la malade, plus ça, plus ça, plus ça!» (Laura, Bordeaux).

87Le traitement par hémodialyse présente ce paradoxe: il peut devenir la maladie et contaminer tous les autres pans de l’existence du patient ou il peut devenir la maladie et la retenir dans un espace dédié et préserver alors les autres pans de l’existence du patient. Laura racontait que quand elle allait en dialyse, elle «allait bosser», pour Odette, la dialyse était «son travail». Ida explique que, quand on lui avait annoncé la dialyse, elle avait pensé: «Je vais enfin faire quelque chose!». Pour Jean «cette saloperie» de dialyse le «tuait». Pour Antoine ou Christine, elle les «punissait». Autant de représentations qui ne sont pas sans nous rappeler les analyses produites par Herzlich autour des représentations de «maladie-métier», «maladie-libératrice» ou de «maladie-destructrice» (Herzlich, 1996).

88Cela soulève la question suivante: l’hémodialyse est-elle toujours amalgamée à une maladie? Dans tous les entretiens de nos patients, nous retrouvons, à des degrés divers, l’amalgame hémodialyse/maladie. Mais, chez certains patients, cet amalgame prend une dimension telle qu’elle se mue en confusion: dans ce cas, il ne s’agit plus de «mêler» l’expérience du traitement à l’expérience de la maladie en attribuant au traitement certains traits propres à la maladie mais réellement de «prendre le traitement pour la maladie», attribuant au traitement tous les traits propres à la maladie.

89Parmi les 58 patients ayant connu le traitement par hémodialyse [31] que nous avons rencontrés, 14 développaient une représentation de l’hémodialyse/maladie en termes de confusion. Entre ce groupe de patients et les autres, il n’y avait aucune différence par rapport à l’âge [32], par rapport au temps passé en dialyse [33], ou encore par rapport à l’espoir d’être traité par une transplantation rénale. En revanche, nous avons noté que 80% des patients (11 sur 14) qui développaient cette représentation étaient traités par hémodialyse au moment de l’entretien et 20% par transplantation rénale [34]. Ainsi, il existe une différence significative entre les récits de l’expérience de l’hémodialyse a posteriori et les récits faits alors que les patients sont soumis (ou sur le point d’être resoumis) au traitement. J’ai connu un patient alors qu’il était traité par transplantation rénale: il évoquait la dialyse comme une période où «il n’avait jamais été aussi serein»; mais lorsqu’un retour en dialyse est envisagé, il se mit à en parler comme d’«un enfer» dans lequel il refusait de retourner. De multiples interprétations peuvent être données à ce phénomène, mais ce que nous souhaitons mettre en évidence par cet exemple, c’est que le degré de l’amalgame entre hémodialyse et maladie dépend de la proximité concrète, physique, entre le patient et le traitement. Les paroles de Samuel font écho à cette observation: «Je me réveille le matin et j’ai l’impression que ce n’est jamais arrivé! Que je n’ai jamais vécu la dialyse! (Il souffle) Au début de la dialyse, je me réveillais le matin, je reprenais conscience des choses, c’était dur! “Oh, là, là, je fais un de ces cauchemars… (Il regarde son abord) C’est quoi, ça?Ah, ouais…”. Et là, de plus en plus, je me réveille et puis… Quelquefois, j’arrive à passer plusieurs jours, quand je suis bien chargé de boulot… à ne plus du tout y penser. Ça, effectivement, je crois que c’est le plus grand succès de la greffe!

90– Ça vous arrive encore de faire des cauchemars par rapport à votre m aladie, à la dialyse?

91– À la dialyse, jamais! Jamais! Par contre, au fait de revenir en dialyse… Je ne suis même pas sûr d’avoir la force de la supporter. Je ne sais pas ce que je ferai…

92– Qu’est-ce qui vous effraie le plus?

93– (Silence) Je n’ai pas envie de revivre ça. Je me rends compte que… je l’avais positivé (Petit rire) Si je ne me mens pas à moi-même, j’attendais la greffe tous les jours. Tous les jours. Tous les jours, tous les jours, tous les jours… (Silence) Je ne sais pas comment je pourrais vivre à ce moment là (en perdant le greffon)» (Samuel, Dordogne)

94L’abord de Samuel était toujours fonctionnel au moment de l’entretien et il était tout aussi «bruyant» et «visible» que lorsqu’il était traité par hémodialyse. Il l’était même davantage et lui avait occasionné quelques problèmes cardiaques que Samuel qualifiait «d’effets secondaires». La non-utilisation de l’abord pour le procédé de dialyse modifie le sens qui lui est attribué. De symptôme, rappelant la maladie, il devient effet secondaire d’un traitement qui lui a permis de vivre assez longtemps pour bénéficier d’une transplantation rénale qui a considérablement amélioré sa qualité de vie. Cette flexibilité de la représentation du traitement en fonction de l’inscription du récit dans la trajectoire de maladie des patients est une donnée importante: elle confirme le fait que l’amalgame dépend en grande partie des représentations mises en branle par l’application du traitement.

95Un des traitements de l’IRT, l’hémodialyse, suscite le développement de représentations très particulières par les patients. Les ruptures biographiques qui marquent habituellement les deux moments de la trajectoire des patients que sont l’annonce du diagnostic de maladie grave et l’entrée effective dans la maladie (lors du début des traitements ou lors de l’apparition des symptômes) prennent une forme spécifique pour la majorité des patients insuffisants rénaux chroniques en se concentrant autour de l’annonce du traitement par hémodialyse et de sa mise en place. Ce phénomène d’identification de la mise en dialyse comme unique moment de rupture biographique est l’un des premiers éléments pouvant nous permettre de comprendre l’amalgame entre ce traitement et une maladie.

96Les deux autres dimensions que nous avons explorées dans cet article tiennent aux conditions d’application du procédé et à ses caractéristiques: la conscience de l’étrangeté corporelle, de son anormalité, les menaces et les expositions à la mort qui sont habituellement des points de définition de la maladie grave deviennent ceux de l’hémodialyse. Par ailleurs, nous avons noté qu’il existe une différence de représentations de la dialyse chez les patients dont les récits sont temporellement éloignés de l’expérience du traitement.

97Si ce travail a permis de mettre en lumière les logiques sous-jacentes à la construction de l’amalgame entre l’hémodialyse et une maladie, la question de sa transformation en confusion reste ouverte et serait à explorer car cette confusion n’est pas sans conséquence pour les patients. L’hémodialyse n’est plus un traitement mais une maladie qui vient renforcer, périodiquement, leur sentiment qu’ils sont pris dans un processus inéluctable de dégradation physique et morale. Bury (1991) évoque le «syndrome de Sisyphe» pour caractériser ce sentiment. Les patients traversent le traitement uniquement pour constater que leur état a très peu évolué puisque la dialyse ne les guérit pas. Dans notre enquête, les patients qui développent cette représentation décrivent une très mauvaise qualité de vie (en particulier en termes de loisirs, d’échanges amicaux ou familiaux, de préservation d’une activité professionnelle), mais sont également les plus susceptibles de ne pas adhérer au suivi thérapeutique (régime alimentaire, restriction hydrique, voire «saut» d’une séance de dialyse). Par ailleurs, chez certains patients, cette confusion perdure après la transplantation rénale. En effet, parmi les 14 patients réalisant la confusion entre le traitement et la maladie, 6 avaient connu un traitement par transplantation rénale. Dans leurs récits, il apparaît qu’ils attendaient de la transplantation rénale qu’elle les soigne de cette hémodialyse et non de leur IRC. Cette confusion entre un traitement et une maladie demande à être explorée dans une recherche ultérieure. Cette recherche pourrait également se concentrer sur l’annonce du diagnostic d’IRT qui, le plus souvent, se transforme en l’annonce de la dialyse. Comparant «l’adaptation» à quatre maladies graves, le cancer du côlon, le diabète, l’insuffisance cardiaque et l’insuffisance rénale, Pucheu et al. (2005) désignent respectivement les malades comme «patients cancéreux», «diabétiques», «insuffisants cardiaques» et «dialysés». Pourquoi ne parle-t-on pas de patients «chimiothérapés», «radiothérapés», «insulinés»? Pourquoi oublie-t-on que les patients «dialysés» sont avant tout des patients insuffisants rénaux? Telles sont quelques-unes des questions autour desquelles notre analyse pourrait se poursuivre.

98Conflit d’intérêts: aucun.

  • [*]

    Aurélie Desseix, anthropologue, CHU Pellegrin Tripode, Service Transplantation Rénale, place Amélie Raba Léon, 33076 Bordeaux Cedex, France; aurelie.desseix@chu-bordeaux.fr
    L’auteur remercie vivement Isabelle Gobatto pour ses relectures et ses conseils.

  • [1]

    La dialyse péritonéale et la greffe rénale sont deux autres traitements possibles de l’insuffisance rénale terminale.

  • [2]

    On parle d’ailleurs de «rein artificiel» à propos de la machine qui est au centre du processus.

  • [3]

    Définition Littré.

  • [4]

    Ce qui se retrouve avec l’ouvrage médical de Man et al. (1996).

  • [5]

    Peu d’écrits sur l’expérience des patients dialysés ont analysé ce phénomène. En revanche, de nombreuses recherches ont étudié la prise en charge par les patients de leur traitement dans une perspective interactionniste (Corbin et Strauss, 1998; Strauss, 1992; Strauss et al., 1975; Waissman in Aïach, 1989).

  • [6]

    Précisons que d’autres éléments contribuent à faire de l’hémodialyse une épreuve et sont parfois convoqués par les personnes interrogées pour décrire leur relation à leur traitement: les questions de dépendance (aux proches, aux soignants, aux ambulanciers, aux caisses d’assurance et, bien sûr, à la machine), des contraintes (de lieu, d’horaire, alimentaires, etc.) ou encore les sentiments de régression et d’impuissance.

  • [7]

    Cet article reprend et développe certaines données de ma thèse de doctorat. Je me suis interrogée sur la façon dont les patients pouvaient supporter ces traitements en me concentrant sur leurs représentations — de leur corps soumis à la technique, du sang — d’une part, et la ritualisation que ces patients pouvaient mettre en place autour de leurs traitements, d’autre part.

  • [8]

    Le plus jeune étant âgé de 20 ans, le plus âgé de 85 ans.

  • [9]

    D’autres auteurs parlent de la maladie comme d’une «situation limite» ou une «situation de crise» (Aïach et al., 1989; Canguilhem, 1966; Druhle, 1985; Radley, 1994; Van der Bruggen, 1977).

  • [10]

    L’hémodialyse étant un traitement répétitif et impliquant un passage sanguin dans la machine de l’ordre de 70 litres par séance, les accès artériels et veineux ne pourraient pas résister à ces ponctions longues et réitérées. Les patients sont alors opérés localement pour la création d’un accès veineux particulier. L’abord le plus connu est la fistule artérioveineuse: «Le principe en est le suivant: si on relie une artère à une veine, la veine se dilate et sa paroi s’épaissit du fait de l’augmentation de la pression et du débit; si la veine est en position superficielle sous la peau, elle se développe en réalisant un nouveau vaisseau comparable à une artère de plusieurs millimètres de diamètre, que l’on peut ponctionner avec une aiguille à chaque séance de dialyse» (Fries, 1987: 79). Il existe aussi le mécanisme de l’anse qui implique l’introduction d’éléments externes puisque le chirurgien insère un petit tube, ou canule, dans une veine et dans une artère puis il les réunit avec un autre tube souple en silicone, composé de deux parties, une qui sera reliée à la «ligne artérielle» et l’autre à la «ligne veineuse» au moment des dialyses. Les abords sont généralement localisés au niveau des avant-bras mais peuvent aussi se trouver au dessus du coude. Les abords se «développent» et forment des «bosses» plus ou moins visibles sous la peau.

  • [11]

    Cette polyurie est un des signes de l’IRT, ce qui est paradoxal quand on sait qu’un insuffisant rénal n’urine plus par la suite.

  • [12]

    Renvoyant ici aux travaux précurseurs de Freidson (1984) lorsqu’il analysait le médecin et la biomédecine sous l’angle de leur fonction de création de la maladie dans ses dimensions biologiques, mais aussi sociales par les conséquences de l’annonce d’un diagnostic sur la construction du statut et du rôle de malade, entre autres.

  • [13]

    «L’épreuve du traitement s’ajoute à la rupture biographique apportée par la confirmation du diagnostic de cancer» (Dilhuidy et Hoarau, 2002: 197s) mais le traitement n’est pas identifié comme le moment de la rupture biographique.

  • [14]

    En effet, les patients peuvent avoir éprouvé d’autres «ruptures biographiques» lorsqu’ils ont connu d’autres maladies graves (cancer, diabète, contamination au VIH). Cela n’est pas anodin car l’insuffisance rénale est alors souvent une conséquence de ces maladies et/ou traitements précédents. Cette dimension serait à questionner mais, dans le cadre de ce travail, nous avons fait le choix de nous concentrer seulement sur l’IRT car c’est bien cette maladie qui sera traitée par dialyse.

  • [15]

    La transplantation rénale rétablit une fonction organique mais n’offre pas de guérison.

  • [16]

    Remarquons à nouveau que les patients parlent de la dialyse et non de leur IRT.

  • [17]

    De plus, les reins sont des organes «pauvres» dans les représentations profanes (Durif-Bruckert, 1994).

  • [18]

    À la différence de l’annonce d’une insuffisance cardiaque ou hépatique, maladies qui ne disposent pas de traitement palliatif en attendant une transplantation. Les patients sont alors immédiatement propulsés dans la conscience de la mort (de Montis, 1994).

  • [19]

    La pathologie à l’origine de l’insuffisance rénale est cependant présente. Elle est, par exemple, questionnée dans le cadre d’une éventuelle transplantation. Il est important de savoir si cette pathologie initiale peut récidiver sur le greffon. Cependant, pour un nombre significatif de patients, l’insuffisance rénale est d’étiologie indéterminée ou la conséquence d’une malformation congénitale. Les médecins disent que, pour environ 30% des patients, une explication médicale certaine à leur atteinte est impossible. Ils pensent, cependant, que ces causes sont d’origine infectieuse, des conséquences d’affections banales mal soignées (grippe, angine …). Au final, 14% des IRC sont classées comme résultant de «maladies systémiques ou néphropathies d’origine indéterminée» (AFIDTN, 2003: 19).

  • [20]

    Kourilsky écrit: «Un véritable travail de deuil est nécessaire pour certains aspects de la vie du dialysé. La diminution de la diurèse est souvent assimilée à une diminution de la virilité chez l’homme» (Kourilsky, 1995: 448).

  • [21]

    La majorité des patients dialysés dissimule le seul signe pouvant susciter des interrogations: l’abord. Ne pas montrer l’abord, être affecté par une maladie «invisible», procurent le pouvoir de conserver une identité non entravée par l’étiquetage comme «malade» et, pour reprendre Samuel, «C’est vachement confortable!».

  • [22]

    Pierret cite les mots de Ginette Raimbault dans L’enfant et la mort qui écrivait: «Quant à la fistule, elle est à la limite entre l’intérieur et l’extérieur du corps» (Pierret, 1976: 281).

  • [23]

    À une période, il existait d’ailleurs un système d’abord nommé «hémasite» (système de chambre implantable) décrit ainsi par une patiente: «C’était comme une prise électrique, parce qu’il y avait trois points. On branchait et on débranchait. Et il y avait un petit bouchon en plastique dessus qu’on enlevait pour les séances» (Sonia, Bordeaux).

  • [24]

    Comme l’a montré Durif-Bruckert (1994).

  • [25]

    D’autant plus que des injections d’héparine sont administrées aux insuffisants rénaux, produits qui fluidifient le sang, diminuant par là même son pouvoir de coagulation.

  • [26]

    Certains patients dialysés nous ont parfois proposé de tenir les compresses après le débranchement en attendant l’hémostase.

  • [27]

    Si l’expérience de Samuel est extrême, pour la majorité des hémodialysés cette première rencontre avec l’univers de la dialyse s’accompagne de connotations mortifères.

  • [28]

    L’abandon des projets n’est pas la seule cause de cette représentation cyclique du temps; entre également en jeu l’incertitude quant à l’état de santé qui peut se dégrader rapidement.

  • [29]

    Roux insiste sur ce dernier lien: «Malgré la maladie et l’usure de la vieillesse, le sang a toujours été associé à l’idée de mort. Qu’il coule par une plaie béante et l’homme ou l’animal ne tarde pas à périr. Qu’il s’échappe du corps, du nez, des intestins, de la bouche a souvent de graves conséquences» (Roux, 1988: 33).

  • [30]

    Nous renvoyons de nouveau à l’ouvrage de Durif-Bruckert (1994).

  • [31]

    En effet, sur les 62 patients, 4 avaient été traités par dialyse péritonéale.

  • [32]

    Moyenne de 53 ans pour ce groupe et de 52 ans pour les autres patients.

  • [33]

    3,1 ans en moyenne pour ce groupe, 3,5 ans pour les autres patients.

  • [34]

    Trois sur 14, dont 2 patients sur le point de recommencer la dialyse en raison d’un non suivi des prescriptions médicales, et 1 patient rencontré seulement dix jours après la transplantation.

« L'hémodialyse, cette maladie ». Approche anthropologique d'un amalgame (2024)

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